Retour sur la conférence « Nouvelle Commission, nouvelle approche? »

Le 14 octobre dernier, en lien avec la Quinzaine de la Solidarité internationale de la Ville de Bruxelles et dans le cadre du Festival Alimenterre, SOS Faim a organisé une conférence sur le thème « Nouvelle Commission européenne, nouvelle approche ? »

La Commission européenne étant en cours de constitution, l’objectif était double : à la fois éclairer le public sur les évolutions politiques possibles quant aux exportations européennes de lait en poudre engraissé à l’huile de palme et susciter une discussion entre éleveurs et parlementaires européens sur les étapes et les outils.

Sont venus apporter leurs analyses et leur témoignage :

  • Erwin Schöpges, président du European Milk Board (EMB) et producteur laitier belge,
  • Rekia Siwa, éleveuse nigérienne et présidente du Collectif des Femmes du réseau des organisations des pasteurs et éleveurs du Niger (RBM),
  • Marc Tarabella, député européen, membre des commissions AGRI (Agriculture et développement durable) et DEVE (Développement).

 

L’UNION EUROPEENNE EXPORTE-T-ELLE SES PROBLEMES ?

Les échanges s’ouvrent sur un consensus entre les participants : les exportations de lait en poudre de l’Union européenne posent un vrai problème.

Pour Erwin Schöpges, il est important de souligner qu’avant d’exporter ses problèmes, l’Union européenne a, dans un premier temps, créé une situation problématique sur son propre territoire : c’est, d’abord, la suppression des quotas qui a engendré une surproduction de lait. Ainsi, en Belgique, la production a augmenté de 25% depuis 2008. Il a fallu, ensuite, écouler ce surplus sur un marché extérieur. Pour lui, c’est bien “la politique européenne qui est responsable et personne d’autre.”

Tandis que le témoignage d’Erwin Schöpges se préoccupe plus du rôle en amont de politiques agricoles, le témoignage de Rekia Siwa dépeint les conséquences néfastes en aval. Elles sont effectivement particulièrement dramatiques pour les femmes éleveuses, qui sont les plus atteintes, car dans le foyer, elles sont en charge de la traite et le commerce du lait peut leur permettre de pourvoir aux besoins de leurs familles. Et “s’il n’y a pas de marché pour le lait local, il n’y a pas d’activité”. Les femmes sont ainsi de plus en plus vulnérables, au détriment de leur famille.

Cela ne fait aucun doute non plus, pour Marc Tarabella, que les politiques européennes dans ce domaine ne profitent pas aux producteurs belges et portent tort aux agriculteurs ouest-africains. En fait, selon lui, elles ne profitent qu’à un seul type d’acteur : l’industrie agro-alimentaire. Il rejoint alors les recommandations que formule la Campagne « N’exportons pas nos problème » en soulignant la nécessité de mettre en cohérence les politiques commerciale, agricole, liée au développement et environnementale car, sans cela, d’une main, on aide le producteur avec des aides au développement et d’une autre, « on les tue. »

NOUVELLE COMMISSION, NOUVELLE APPROCHE ?

Le parlement européen a été renouvelé il y a quelques mois et la Commission européenne est en cours de constitution. Phil Hogan, qui était Commissaire à l’Agriculture, gèrera désormais le portefeuille du Commerce. Janusz Wojciechowski devrait être nommé Commissaire à l’Agriculture et Jutta Urpilainen sera la nouvelle Commissaire aux Partenariats internationaux.

Tandis que Phil Hogan avait réagi négativement à notre campagne en avril dernier, parlant de fake news et de désinformation, la Commissaire aux Partenariats internationaux Jutta Urpilainen y a réagi favorablement. Interrogée quant aux mesures que les gouvernements africains pourraient prendre pour se protéger des importations de produits agricoles et alimentaires à bas coût de l’Union européenne, elle s’est prononcée en faveur de telles mesures.

QUE PEUT FAIRE L’UNION EUROPEENNE ?

Chacun des trois domaines concernés par la problématique, agriculture, commerce et développement, a ensuite été évoqué par les intervenants, à l’aune du rôle et du pouvoir que pourront y avoir la Commission et le Parlement européen.

Dans le domaine agricole, une réforme de la PAC est nécessaire. Erwin Schöpges détaille la proposition de l’EMB qui voudrait que soit créé un mécanisme de gestion de l’offre, qui aurait d’ailleurs déjà pu répondre à la crise du lait en 2008. L’EMB, à travers l’Observatoire européen du marché du lait, étudie déjà avec attention les fluctuations de la production et de la consommation de lait au niveau européen et mondial. L’indice permettrait de savoir quand la production dépasse un certain volume et d’envoyer alors un signal aux producteurs afin qu’ils ralentissent la production. Erwin Schöpges précise en effet que sans surproduction, il ne serait pas possible d’exporter le surplus à bas prix.

Rekia Siwa, va plus loin en proposant de réformer les politiques européennes en faveur des petits producteurs et d’une agro-écologie paysanne.

Dans le domaine de la politique commerciale, Marc Tarabella,  propose de mettre en place des règles sur les importations de produits bruts, à l’exemple du Canada qui a interdit les importations de « raw milk » (lait frais) afin de protéger son marché. “Ce n’est pas parce qu’il y a un marché global qu’il ne faut pas avoir de règles sur les importations de produits bruts”.

Rekia Siwa témoigne cependant de l’impossibilité pour les Etats d’interdire le commerce de ce qu’elle appelle la “farine dite lait en poudre”. En effet, les multinationales qui importent la poudre et souvent la retransforment sur place sont les mêmes qui financent les projets des gouvernements. Elle explique alors que, dans ce contexte, les éleveurs souhaiteraient à minima que ces usines achètent une partie du lait local, afin d’en renforcer la production. Elle propose qu’un minimum de 50% de lait utilisé par ces usines de reconditionnement ou de transformation soit du lait produit localement.

Erwin Schöpges nous interpelle, quant à lui, et déplore le fait que l’Europe exporte un produit de basse qualité et en fait un véritable produit de dumping. Mais au-delà d’une régulation contre le dumping, qui est officiellement interdit par l’Union européenne, c’est de la politique environnementale que pourrait venir une solution. Dans le contexte du réchauffement climatique et sachant les conséquences désastreuses pour l’environnement de la production d’huile de palme, si la politique commerciale est mise en cohérence avec la politique environnementale, alors le commerce du lait en poudre réengraissé à l’huile de palme pourrait être interdit.

Dans le domaine de la politique de coopération au développement, Marc Tarabella, nouveau membre de la commission pour la coopération au développement du Parlement européen, se renseigne actuellement beaucoup sur les aides occidentales au développement et leurs impacts néfastes.

Rekia Siwa souligne ce qu’on entend trop peu souvent : les éleveurs du Niger ont le savoir-faire; ce qui les étouffe, c’est le commerce de la farine dite lait en poudre. Le potentiel de la filière lait en Afrique de l’Ouest existe bien, dit-elle, mais elle déplore le peu de promotion et de sensibilisation à l’intérêt de « consommer local ». En outre, il y a encore trop peu d’unités de collecte et de techniques de conservation du lait local. Aujourd’hui, en Afrique de l’Ouest, seulement 2% du lait local arrive dans une laiterie, le reste est consommé localement ou est jeté. Une campagne régionale a été lancée l’année passée par une série d’organisations de producteurs et de la société civile pour soutenir ces orientations. La politique de coopération au développement devrait s’assurer de soutenir ce genre d’initiatives et les lignes stratégiques qu’elles promeuvent.

Erwin Schöpges collabore déjà beaucoup avec des producteurs d’Afrique de l’Ouest, les échanges de pratiques et de savoir-faire vont bon train.

LA COHERENCE DES POLITIQUES

Ainsi, bien que quelques divergences soient survenues, nos trois intervenants étaient d’accord sur un point : la nécessaire cohérence des politiques. En effet, les politiques agricole, commerciale, environnementale et de coopération au développement de l’Union européenne, si mises en cohérence, devraient permettre d’une part de diminuer la production de lait en Europe et augmenter ainsi le revenu des éleveurs, et d’autre part, d’interdire l’importation d’huile de palme pour la réexporter mélangée à du lait écrémé en poudre vers l’Afrique de l’Ouest au détriment du développement des filières de lait local et des éleveurs ouest-africains.

La campagne « N’exportons pas nos problèmes » continue et nous comptons sur nos élus européens pour faire bouger les choses !