Question orale au Parlement wallon sur notre thème de campagne

Notre campagne continue de faire son chemin dans les esprits : mardi 22 octobre, en Commission de l’économie, de l’aménagement du territoire et de l’agriculture du Parlement wallon, le Député Jean-Philippe Florent a interrogé Willy Borsus, Ministre wallon de l’Agriculture, sur les exportations européennes de poudre de lait réengraissée à l’huile de palme.

Après avoir rappelé la problématique, le député a souhaité connaître la position du ministre quant à la mise en place d’un mécanisme de gestion de l’offre de lait, qui permettrait de réguler la production conformément aux besoins européens et de ne plus surproduire.

Dans sa réponse, le ministre a rappelé que pour lui, « le tout au marché […] a montré largement ses limites et […] nous avons besoin de balises […] qui organisent au moins à certains moments, les productions. » Il a rappelé qu’a déjà été mis en place temporairement un dispositif de ce type à l’occasion d’une précédente crise du prix du lait. Mais pour lui, cela semble « un peu prématuré ».

Il précise par ailleurs que les exportations belges de lait et de crème en poudre vers l’Afrique de l’Ouest ont crû, entre 2015 et 2018 de 812 tonnes à 2112 tonnes mais qu’il s’agirait de « couvrir un manque dans la production laitière, singulièrement du Nigeria, qui ne couvre que 40% des besoins de sa population. » Il précise également que le gouvernement nigérian a mis en place « un plan national pour développer une production laitière viable avec un potentiel qui, à l’évidence, est énorme et constitue une belle opportunité pour le développement local des filières agricoles mais aussi pour pouvoir porter des partenariats éventuels avec des acteurs de notre région. » Il ajoute, enfin, que « de manière générale, l’Afrique constitue un marché au potentiel intéressant pour nos productions laitières. Évidemment, lorsque j’évoque ce potentiel, le but n’est évidemment pas d’aller empêcher, d’aller déstructurer encore moins des filières de production qui se mettraient ou qui auraient vocation à se mettre en place au niveau laitier. »

Ce à quoi le député a répondu : « c’est un peu faire preuve d’angélisme de penser que l’exportation de cette poudre de lait réengraissée à l’huile de palme ne déstructure pas certains marchés. Je pense que c’est une réalité qui est documentée et dont on doit aussi tenir compte. »

Si cette question montre bien que notre campagne trouve un écho, il faut cependant maintenir la pression car elle montre aussi qu’il reste encore du chemin. »N’exportons pas nos problèmes » continue!

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Retrouvez ci-dessous le texte intégral de la question de Jean-Philippe Florent et la réponse du ministre Willy Borsus.

QUESTION ORALE DE M. FLORENT À M. BORSUS, MINISTRE DE L’ÉCONOMIE, DUCOMMERCE EXTÉRIEUR, DE LA RECHERCHE ET DE L’INNOVATION, DU NUMÉRIQUE, DEL’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE, DEL’AGRICULTURE, DE L’IFAPME ET DES CENTRES DE COMPÉTENCES, SUR « LES EXPORTATIONS DE LAIT »

Mme la Présidente. – L’ordre du jour appelle la question orale de M. Florent à M. Borsus, Ministre de l’Économie, du Commerce extérieur, de la Recherche et de l’Innovation, du Numérique, de l’Aménagement du territoire, de l’Agriculture, de l’IFAPME et des Centres de compétences, sur « les exportations de lait ». La parole est à M. Florent pour poser sa question.

M.Florent (Ecolo). – Monsieur le Ministre, lors du Congrès du lait équitable, vous avez reçu une « vache d’or », un prix décerné par les organisateurs pour votre action politique mais aussi pour votre récente position publique défavorable au traité Union européenne-Mercosur. À ce congrès, les producteurs du Burkina Faso, du Niger, du Tchad, du Mali, ont lancé un cri unanime concernant la situation désastreuse due aux exportations européennes de poudre réengraissée à l’huile de palme qui concurrence le marché local. Le réengraissage a lieu parce que l’on valorise le beurre sur le marché, le marché local mais également le marché à l’exportation. Cela génère d’importantes quantités de lait écrémé, transformé ensuite en poudre. Cette dernière est enrichie de matières grasses végétales bon marché. Ce produit est alors vendu en Afrique de l’ouest bien moins cher que la poudre de lait entier. Le réengraissage est réalisé en Europe par des grandes laiteries, dont plusieurs collectent du lait ici en Wallonie, Milcobel, Friesland, Campina, Arla.

Les entreprises européennes qui exportent ce produit n’hésitent pas à l’appeler «lait » ou « lait aux MGV », aux matières grasses végétales, sur les emballages vendus dans l’Afrique de l’ouest, ce qui, en Europe, est totalement interdit.

L’enjeu climatique et les déséquilibres sociaux de la mondialisation nous amènent à nous poser des questions difficiles et celle-là en est une assurément.

Pouvez-vous nous informer sur les quantités de poudre de lait qui sont exportées depuis notre Région vers l’Afrique de l’ouest ? Pouvez-vous défendre, au sein du Conseil européen de l’agriculture, une interdiction au minimum de l’appellation « lait » ou « lait aux matières grasses végétales » sur les emballages vendus dans l’Afrique de l’ouest ? Que pensez-vous de l’idée défendue par le European Milk Board d’établir un mécanisme de gestion de l’offre de lait pour mieux correspondre aux besoins européens ? De la sorte, nous diminuerions la surproduction de lait dans l’Union européenne. Cette question fait bien sûr un peu écho à l’interpellation que l’on a eue aujourd’hui. On a bien entendu votre envie sincère de défendre les circuits, de défendre l’agriculture wallonne et nous y souscrivons totalement. En revanche, c’est vrai qu’il y a une nuance entre nous – et certainement plus qu’une nuance – en ce qui concerne les exportations. Nous ne sommes pas opposés aux exportations en elles-mêmes, mais il y a des bonnes méthodes, des bonnes manières de le faire, il y a certainement également des limites à poser. Doit-on intervenir dans une réflexion sur une taxation carbone de nos produits et des produits que nous recevons, bien entendu, de manière – c’est notre vision – à développer une agriculture résiliente qui fonctionne dans l’Union européenne, mais qui permet également aux marchés mondiaux d’avoir une souveraineté alimentaire ?

Mme la Présidente. – La parole est à M. le Ministre Borsus.

M. Borsus, Ministre de l’Économie, du Commerce extérieur, de la Recherche et de l’Innovation, du Numérique, de l’Aménagement du territoire, de l’Agriculture, de l’IFAPME et des Centres de compétences. – Monsieur le Député, tout d’abord, des éléments de constats chiffrés concernant les exportations wallonnes vers l’Afrique occidentale. On a un peu de difficultés parce que, envisager les exportations de poudre de lait ou cette part des exportations sous l’angle wallon est compliqué, parce que l’on fait partie d’un secteur intégré, qui intègre les circuits de commercialisation dans des circuits qui regroupent des opérateurs et des acteurs belges et/ou européens. Les données qui suivent sont donc estimées au niveau de la Belgique et non déclinées entre régions. Ces données ne sont donc pas complètement représentatives, mais je suis prêt à faire des recherches plus avancées pour tenter de bien situer ce qui relève de la Région wallonne ou non.

En ce qui concerne nos exportations belges vers l’Union monétaire ouest africaine, soit huit pays, et la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, soit cinq pays, concernant nos exportations de lait et de crème en poudre, pour la période 2015 à 2018, le volume des exportations a crû en passant de 812 tonnes en 2015 à 2112 tonnes en 2018. Dans ce flux, c’est vers l’Union monétaire ouest africaine que dominent les exportations. Ces exportations, m’indique-t-on, viennent à ce stade couvrir un manque dans la production laitière, singulièrement du Nigeria, qui ne couvre que 40% des besoins de sa population. Pays le plus peuplé d’Afrique de l’Ouest, le Nigéria ne représente que 13% de la production laitière ouest-africaine. Ses importations annuelles de lait et produits laitiers estimées à 1,3 milliard de dollars couvrent environ 60% des besoins nationaux. Le Gouvernement nigérian a mis en place et sur pied un plan national pour développer une production laitière viable avec un potentiel qui, à l’évidence, est énorme et constitue une belle opportunité pour le développement local des filières agricoles mais aussi pour pouvoir porter des partenariats éventuels avec des acteurs de notre région. J’ai eu l’occasion moi-même de m’entretenir avec certains des producteurs qui étaient présents à Libramont lors du congrès de l’EMB et de discuter avec eux de leur situation et d’entendre à la tribune, l’exposé de leurs témoignages. On le sait, de manière générale, l’Afrique constitue un marché au potentiel intéressant pour nos productions laitières. Évidemment, lorsque j’évoque ce potentiel, le but n’est évidemment pas d’aller empêcher, d’aller déstructurer encore moins des filières de production qui se mettraient ou qui auraient vocation à se mettre en place au niveau laitier.

En ce qui concerne l’appellation lait ou lait aux MGV pour ces poudres de lait exportées, je suis tout à fait prêt à étudier cet élément réglementaire, dès l’instant où vous m’indiquez dans votre question que l’on exporterait sous des vocables interdits chez nous des produits que l’on destinerait alors à l’Afrique de l’Ouest. De cette étude, dépend ou non la proposition que je pourrais faire au niveau européen.

En ce qui concerne la mise en place d’un mécanisme de gestion de l’offre, je ne m’en suis jamais caché au niveau européen. Je trouve que le tout au marché dans l’ensemble de spéculations agricoles a montré largement ses limites et que nous avons besoin de balises, de marchés d’élément qui organisent au moins à certains moments, les productions. On a d’ailleurs mis en place un dispositif temporaire lorsque l’on était confronté à une grave crise du prix du lait chez nous. Je ne dis pas que je rejoins l’EMB sur chacun de leurs points de revendication. Je les remercie d’ailleurs de l’honneur qu’ils m’ont fait en m’accordant leur gratification et leur vache d’or. C’était pour mon action fédérale. Ce n’était pas pour l’action régionale. Cela me semble un peu prématuré mais en tout cas, il s’agit d’un champ d’analyse. Comme je l’ai dit tout à l’heure, je n’imagine pas que le marché soit simplement la traduction de notre hyper productivité ici qui va écraser les autres là-bas dans le monde, quel que soit le là-bas dans le monde. Ce n’est pas par hasard que j’étais présent à ce congrès et que j’ai consacré du temps à écouter les uns et les autres.

Mme la Présidente. – La parole est à M. Florent.

M. Florent (Ecolo). – Merci pour vos réponses. Là, je pense malheureusement que c’est un peu faire preuve d’angélisme de penser que l’exportation de cette poudre de lait réengraissée à l’huile de palme ne déstructure pas certains marchés. Je pense que c’est une réalité qui est documentée et dont on doit aussi tenir compte.

Par ailleurs, nous sommes persuadés que l’on ne peut plus continuer à développer nos politiques agricoles sans tenir compte des externalités environnementales, sans tenir compte de l’impact climatique. Des exportations parfois massives depuis l’Europe de poudres de lait rengraissées à l’huile de palme qui est elle-même importée des pays asiatiques ou des pays d’Amérique latine – notamment du Brésil après déforestation – on doit au moins reconnaître que ce modèle n’est pas tenable. Et donc, l’exportation, le credo dans une agriculture d’exportation a sans doute certaines limites. Je pense qu’à la fois les préoccupations climatiques et à la fois le droit à une souveraineté alimentaire ici chez nous…Vous avez parlé tout à l’heure de la production ovine qui pouvait être développée puisque nous sommes déficitaires. Nous sommes en demande. Ce même principe pourrait être partagé pour d’autres qui, eux-mêmes, développent ou tendent de développer un marché du lait en Afrique de l’Ouest mais ne sont pas capables de le faire, car le lait local est jusqu’à sept ou huit fois plus cher que le lait exporté depuis l’Europe sous forme de poudre. C’est vrai que la fin des quotas laitiers a engendré ces impacts négatifs. Il n’est pas question de jeter l’opprobre sur nos agriculteurs qui tentent de survivre, on en est bien conscients. On a parlé tout à l’heure des pénibilités et de la difficulté d’avoir un salaire décent en Europe pour nos agriculteurs – c’est évidemment un point d’attention très important pour nous -, mais c’est vrai que cette agriculture-là touche, à mon avis, les limites de son modèle. Une forme de régulation est donc véritablement nécessaire. En tout cas, je serai attentif à la fois sur les questions d’appellation – on doit au moins respecter les appellations qu’on s’impose chez nous, c’est vraiment le minimum – sur ces questions plus générales de limites des exportations.

Séance du mardi 22 octobre. Compte-rendu de la réunion avec texte intégral de la question et de la réponse à retrouver ici : http://nautilus.parlement-wallon.be/Archives/2019_2020/CRAC/crac22.pdf