Les 72h du lait à Bruxelles, un moment historique entre éleveurs européens et africains

Au Burkina Faso, les 72h du lait sont déjà bien instaurées, ayant lieu chaque année en octobre depuis 4 ans. La Belgique, capitale de l’Europe, s’est lancée cette année pour 72 heures (et plus !) au cœur des politiques qui impactent les éleveurs européens et africains.

Du lundi 8 au vendredi 12 avril, une série d’activités se sont déroulées sur la question des politiques agricoles, commerciales et de coopération au développement de l’Union Européenne qui impactent la vie des producteurs européens et ouest-africains. Au programme : deux tables rondes, une mobilisation devant les institutions, un ciné-débat et une session d’information. Pour alimenter ces différentes activités, une délégation de 18 représentants d’organisations paysannes ouest-africaines s’est déplacée jusque Bruxelles ; des éleveurs de France, des Pays-Bas, d’Italie et d’Allemagne, sans parler des éleveurs belges, étaient aussi présents. Des députés européens, des représentants des directions générales de l’agriculture, du commerce et de la coopération au développement de la Commission européenne sont venus entendre les revendications portées autant par les producteurs européens qu’africains.

Le problème est simple et très simplement expliqué dans notre vidéo d’animation. Il est dénoncé depuis longtemps par les éleveurs qui, en Europe et en Afrique, ont de grandes difficultés pour simplement vivre de leur travail. Ainsi, Philippe Collin, membre de la Confédération paysanne et ancien membre de l’Observatoire du Marché du lait a souligné : « On a appauvri le lait volontairement, pour faire la valeur ajoutée ici. Appelons un chat un chat. Ce n’est pas du lait réengraissé. Ce n’est pas du lait ! C’est une question d’escroquerie ».

Lors de ces journées dédiées au lait, les éleveurs africains ont présenté le potentiel de la filière lait de la région pour mettre en avant les capacités des pays de la CEDEAO à subvenir à une bonne partie de la demande en lait si le soutien était plus présent. De belles histoires de réussite ont été mises en avant. Ainsi, Christian Dovonous, directeur pays Burkina Faso de Vétérinaires sans frontières a affirmé : « Il est possible en peu de temps de répondre aux normes hygiéniques et de maintenir cette qualité-là dans le temps avec les mini-laiteries. » Mais les obstacles, liés à l’importation de poudre de lait européenne et de « faux lait » à l’huile de palme ont été décriés. Dodo Boureima, Secrétaire permanent du Réseau d’éleveurs Bilital Maroobé a ainsi expliqué : « Il y a en effet une demande [de lait], mais puisqu’il y a la facilité d’avoir du lait en poudre, les industriels achètent le lait européen. » Le lait européen et son produit dérivé font donc bel et bien concurrence au lait local, auprès des consommateurs directs, mais également et surtout auprès des industriels qui transforment le « faux lait » et le remettent sur le marché avec des étiquettes trompeuses.

Mardi 9 avril, lors de la deuxième table ronde, l’un des représentants de la Commission Européenne a demandé aux éleveurs de relativiser car, selon lui, il n’y a que 5% de la production européenne de lait qui est envoyée en Afrique de l’Ouest. Aliou Ibrahima, Secrétaire général de l’APESS (organisation régionale d’éleveurs) lui a alors rappelé : « On a tous fait l’école et on sait que ce n’est pas une valeur absolue. Si ce n’est « que » 5%, arrêtez ça, ça ne vous fait rien ! Enlevez même seulement 2% des 5%, ça nous fera déjà du bien. »

Il est évident qu’une partie de la responsabilité de cette invasion de lait est du ressort des gouvernements ouest-africains. Dodo Boureima a ainsi expliqué d’une part que « l’Etat a la capacité de contraindre les industriels à acheter un minimum de lait local. » Et Aliou Ibrahima a complété en mentionnant que « la principale contrainte de laquelle découle les conséquences est que les Etats de la CEDEAO ont décidé de mettre les tarifs communs à 5% sur les produits laitiers, ce qui favorise l’importation de lait en poudre. » Les représentants de la Commission européenne n’ont pas hésité à rappeler cette responsabilité de la CEDEAO. Mais ces décisions des gouvernements africains ne sont pas toujours libres et les éleveurs le savent. Aliou Ibrahima a alors continué, en disant : « Nous savons que l’UE fait pression sur les Etats de la CEDEAO pour qu’ils baissent leurs douanes. Or, le développement de la filière lait en Afrique de l’Ouest, c’est le développement des régions pastorales d’Afrique de l’Ouest ! Cela concerne la stabilité de tous les Etats dans un contexte sécuritaire fragile. Nous pensons que nous devons arrêter les importations de poudre de lait en Afrique de l’Ouest et nous comptons nous battre pour cela, avec les éleveurs européens. »

Amadou Hindatou, Coordinatrice de la campagne « Mon lait est local » a, quant à elle, continué sur les mêmes pas qu’Aliou Ibrahima en s’indignant : « La concurrence, elle est là, elle existe et elle plombe la production locale ! Le lait en poudre, dans certains pays, est vendu de 40 à 50% moins cher que le lait local. C’est impossible de faire face à cette concurrence inéquitable. Les femmes en sont les premières victimes : elles sont les productrices, les transformatrices, les entrepreneuses. Et leurs revenus sont premièrement affectés aux besoins de la famille. » Elle a ensuite clôturé son intervention par cette phrase coup de poing : « Je pense que vous vous devez d’être sensibles à cet appel des productrices. »

L’action du 10 avril a symbolisé l’union entre producteurs européens et ouest-africains et a été qualifiée par Erwin Schöpges, Président du European Milk Board, d’historique. Ce moment convivial a rassemblé deux cents personnes, mobilisées pour rappeler à l’Union Européenne ses responsabilités et revendiquer une régulation de la production laitière européenne, des politiques commerciales équitables ainsi qu’une politique de coopération au développement cohérente. Des crêpes ont été faites, d’un côté avec de la poudre de lait, de l’huile de palme et de l’eau, et de l’autre, avec du lait local entier. Libre à chacun de manger celle qui lui faisait le plus envie…

Le lendemain, lors du ciné-club Alimenterre, et à la suite de la projection du film « La planète lait », Korotoumou Gariko, Présidente de l’Union nationale des transformateurs de lait du Burkina Faso, a rappelé, par exemple l’importance d’instaurer une exception agricole au sein des échanges commerciaux, ce qui permettrait aux Etats de la CEDEAO mais également à l’Union européenne de protéger leurs marchés d’importations de denrées agricoles qui mettent à mal le développement ou la sécurité alimentaire.

Les 72h du lait de Bruxelles ont été un réel succès. Ce fut une semaine de solidarité, de plaidoyer et de sensibilisation qui, on l’espère, ne rendra pas indifférente la Commission européenne. Comme l’a précisé Erwin Shöpges : « Ce n’est qu’un début! » Le travail continue, des rencontres avec les principaux partis politiques belges sont planifiées pour les informer, mais surtout pour les pousser à prendre un engagement clair en soutien à nos revendications.

Le 26 mai prochain auront lieu des élections en Belgique. D’ici là, et même après, SOS Faim, Oxfam, Vétérinaires sans frontières, le European Milk Board et toutes les ONG unies dans ce combat continueront de joindre leur voix aux éleveurs européens et ouest-africains pour dénoncer la surproduction en Europe et ses conséquences. Pour que chacun puisse faire un choix éclairé et pèse de tout son poids de citoyen pour faire changer les politiques. Pour aller vers un monde (agricole) plus juste. 

(crédit photo : Oxfam)